La genèse de Jeanne au Bûcher

Arthur Honegger fait partie des compositeurs majeurs du XXe siècle. De nationalité suisse, mais né au Havre et ayant essentiellement vécu à Paris, il est au croisement des influences françaises et germaniques. Membre du fameux Groupe des Six en compagnie de Louis Durey, Georges Auric, Germaine Tailleferre, Francis Poulenc et Darius Milhaud, dans ses compositions il utilise les langages et les techniques musicales de son époque, avec un grand sens de l'architecture.

 

Son oratorio Jeanne d’Arc au bûcher est le point d’orgue de sa collaboration avec Ida Rubinstein, mécène qui a soutenu ses créations à maintes reprises, et qui souhaitait qu'il écrive sur le sujet, une figure de la vie artistique de la Belle époque, danseuse des Ballets russes et tragédienne.

L’œuvre, dont l’idée naît en 1934, sera écrite en 1935 par Honegger, à partir du texte de Paul Claudel qui apporte son langage tantôt mystique tantôt prosaïque et son sens du drame. La première personne sollicitée pour le texte fut la poétesse Jeanne d'Orléac. Mais Honegger ne s'entend pas avec elle. Puis Claudel, qui sous l’impulsion d'Ida travaille avec Darius Milhaud autour d'une œuvre, est pressenti mais se déclare ne pas être intéressé par le sujet.

Néanmoins, de retour à Bruxelles, un geste se dessine dans l'esprit de Claudel : un signe de croix fait par deux mains enchaînées. Le point de vue est alors trouvé : c'est du bûcher qu'il faut aborder l'ensemble de la vie de Jeanne d'Arc. En une quinzaine de jours, le livret est élaboré et, le 13 décembre, Claudel lit, devant Ida Rubinstein, Honegger et Milhaud, les deux œuvres qu'il a composées pour chacun des musiciens. (extrait de la biographie d'Honegger)

Après quelques péripéties l’œuvre est enfin interprétée en version concert, le 12 mai 1938 à Bâle avec Ida dans le rôle de Jeanne. C’est un triomphe. Elle sera ensuite jouée et mise en scène en France à plusieurs reprises avec succès, y compris en 1941 sous l’Occupation, à l’Opéra de Paris en 1950 et récemment à Barcelone en 2012.

L’histoire se situe au moment dramatique qui précède la mort de Jeanne et pendant lequel elle revoit son procès. Onze scènes constituent cette remémoration où les voix parlées de Jeanne et du Frère Dominique donnent la réplique aux chœurs de la foule versatile, aux voix du ciel et à celles des juges. Les recherches sonores, qui abondent dans l’oratorio, mêlent passéisme et modernité, psalmodies et polyphonies anciennes dissonantes, introduisant les sons nouveaux des ondes Martenot, du saxophone ou même d’une tringle posée sur des cordes. Elles surprennent les sens et sont mises au service d’une tension dramatique où l’angoisse de la jeune fille, qui va mourir, affronte tour à tour la ferveur de la foule, sa haine ou la truculence et le grotesque du peuple servis par un latin de foire, pour se transformer et culminer en un cri d’amour dans la flamme du bûcher.

 

Mireille Grizzo